Commission Culture et Patrimoine de la Fédération Française de Cyclotourisme

COLLECTION "MÉMOIRE LITTÉRAIRE DU CYCLOTOURISME" - Opus 4<
Version numérique

Paul CURTET - Par les routes et les chemins...

photo du village d'Eybens
Quel est le café
"qui s'est longtemps enorgueilli de posséder une pompe à cycles" ?


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2 - DE QUELQUES INSCRIPTIONS ET CURIOSITÉS RENCONTRÉES SUR LES ROUTES ALPESTRES
(1925 - 1974)

     Je voudrais signaler ici, non pas d’antiques graphismes qui relèvent de l’Archéologie, mais des inscriptions ou enseignes, amusantes ou touchantes, qui datent d’hier seulement et que «l’accélération de l’Histoire» a rendues presque préhistoriques.
    Beaucoup se rapportent plus ou moins directement à notre sport. Ainsi, sur la route de Voreppe à la Placette, deux kilomètres avant le col, on pouvait voir un petit poteau édifié par le T.C.F. et portant l’inscription suivante : cyclistes, attention descente rapide. Le même existait au sommet du col de Grimone (Drôme). Je les ai vus pour la première fois vers 1925, au temps de mes débuts en cyclotourisme. Ils devaient dater du début de la fondation du T.C.F., c’est à dire de la fin du 19 ème siècle, époque où le T.C.F. se souvenait d’avoir été fondé par des cyclistes. Ils ont dû disparaître peu avant la dernière guerre.
    Sur la route du Sappey au Saint-Eynard, au hameau du Gouillat, à 200 mètres de la grande route du Col de Porte, on peut lire sur une maison une inscription en partie effacée : « on sert à boi...à manger chez Cloitre Mar...bon vin » . Serait-ce là l’auberge à laquelle Joanne (1862) fait allusion dans la phrase suivante : « Enfin, on atteint quelques maisons parmi lesquelles se trouve une espèce d’auberge. C’est le hameau du Sappey ».
    Quant au village actuel du Sappey, ses vertes prairies sont presque entièrement recouvertes de résidences secondaires, à tel point que l’activité traditionnelle de l’élevage est en sérieuse régression.
    Je signalerai également une survivance qui concerne la vaisselle...et le sport cycliste. Je l’ai observée il n’y a pas tellement longtemps dans un village de l’Oisans. On se rappelle peut-être qu’avant 1914 les guinguettes et les bistrots de campagne étaient souvent pourvus d’assiettes ornées de dessins humoristiques accompagnés d’une légende. Cette iconographie a disparu après la guerre de 1914. Eh bien! J’ai trouvé une de ces assiettes il y a environ 30 ans. elle représentait une scène du Tour de France des années 20 : André Leduq, dans le Galibier, reprenant le maillot Jaune qu’il avait perdu après une chute. C’était l’épopée du Tour de France succédant à l’humour bon enfant de 1900. Je pense que celà a été la dernière création de ces ateliers de vaisselle populaire.
    Sur la N.90 (route de Grenoble à Chambéry), à Saint-Ismier, on peut voir une maison avec l’enseigne : on loge à pied. Cette maison, bien que n’étant pas en bordure de la route, est bien visible de celle-ci. Pendant que l’on est à Saint-Ismier, on pourra monter au chef-lieu de la commune qui est situé nettement plus haut, sur les pentes du Saint-Eynard. On y verra une église avec quelques chapiteaux romans au portail. Un peu au-delà de Saint-Ismier et sur la N. 90, on pourra voir une grande borne où la distance est évaluée en toises.
    La N.85 (route Napoléon), entre Grenoble et Vizille, ne coïncide pas avec le parcours suivi par Napoléon au retour de l’île d’Elbe. À Grenoble, elle passe à coté du quartier de l’Aigle qui doit son nom précisément au retour de l’Empereur : le colonel La Bédoyère, en sortant de Grenoble et devant la première auberge, perça un tambour d’où s’échappèrent un filet de cocardes tricolores et d’aigles impériales qu’il planta sur les hampes de ses drapeaux. L’auberge s’est longtemps appelée « l’Aigle Impériale ». Après sa destruction, le quartier a pris le nom de l’Aigle. À coté de l’ancienne auberge s’élevait le pensionnat de la Salle. Sur son emplacement fut construit en 1884 l’actuel Lycée privé également nommé l’Aigle.
    Toujours sur l’actuelle N.85, et 2 kilomètres avant Pont de Claix, on remarquera un arrêt de l’autobus appelé Gringalet. Ce nom (et peu de Grenoblois s’en doutent) est probablement une corruption de Grand-Gallet car à coté s’élevaient, avant 1914, les vastes bâtiments de la ferme de Grand-Gallet; Cette ferme avait un camion à chevaux plein de bouteilles de lait, avec un marchepied à l’arrière sur lequel les galopins s’ efforçaient de monter en marche. Cet exemple s’il était confirmé, montrerait la facilité avec laquelle les noms se déforment. Sur l’emplacement de la ferme s’étend maintenant un paysage mélangé de grands immeubles et de dépendances de l’usine Progil. Un bon kilomètre au Nord-Ouest, on pourrait retrouver une tour du 12 ème encerclée par les buildings et qui est un vestige de l’ancienne ferme de Prémol, propriété des Chartreusines de Prémol, sous Chamrousse.
    Mais si nous voulons suivre le véritable itinéraire de Napoléon, il faut prendre la D.5 qui passe à Eybens. Sur la place du village, à coté de l’auberge où Napoléon aurait pris un bain de pied, se trouve un café qui s’est longtemps enorgueilli de posséder une pompe à cycles. À la belle époque, cela donnait un certain standing à un modeste bistrot. Sur le mur même de l’ancienne auberge on a vu longtemps (jusqu’en 1870) une effigie de l’Empereur dans sa posture classique, la main au gilet.
    En continuant sur la D.5, on pourra voir plusieurs belles bornes libellées en toise. Ces bornes n’étaient pas disposées régulièrement, mais servaient à indiquer la longueur de route qui était à la charge de telle ou telle communauté. Par exemple la borne n° 10 porte : 884 toises à l’entretien de Vaulnaveys et la borne n° 11 : 126 toises à l’entretien de Montchabaud.
    Reprenons la N.85 actuelle. À l’entrée de Laffrey et sur la première maison à droite, on a pu lire longtemps l’inscription suivante : vente de fagots à M.M. les cyclistes. Cela rappelait le bon vieux temps de la roue à pignon fixe. L’inscription a dû disparaître juste avant la guerre de 1939. Un peu au-delà de Laffrey se dresse sur la fameuse prairie de la Rencontre, la statue équestre de Napoléon par Frémiet. On sait qu’ici se déroula l’épisode décisif du Retour. Ce que l’on sait moins, c’est que cette statue eut de nombreux avatars : après avoir orné la place d’Armes à Grenoble (aujourd’hui place de Verdun), elle en fut retirée après la chute du second Empire, placée dans d’obscures réserves et à peu près oubliée. Ce n’est qu’en 1930 qu’on se souvînt d’elle et qu’on eut l’heureuse idée de l’ériger, après restauration, sur la prairie historique de Laffrey. Cette petite histoire illustre en même temps nos ridicules passions partisanes.
    Toujours sur la route Napoléon, à Pont-Haut, au pied de la difficile rampe qui mène à La Mure, on peut lire sur les murs de l’ancienne auberge Clavel ces quelques mots : chevaux en renforts. Cette inscription doit subsister, car je l’ai revue il y a deux ans à peine, et j’ai connu une vieille dame qui se rappelait, étant enfant avoir accompagné les dits chevaux de renfort jusqu’à La Mure.
    Je ne voudrais pas terminer ces quelques observations sans signaler aussi les vieilles plaques bleues en fonte des Ponts et chaussées, qui indiquaient les distances au mètre près. Elles sont encore nombreuses, bien qu’elles se remarquent peu à cause de la hauteur de leur emplacement et de la petitesse relative des caractères. Mais les postillons et les cavaliers pouvaient les lire aisément et, aujourd’hui encore, j’aime à rencontrer ces témoins d’une France artisanale.