Commission Culture et Patrimoine de la Fédération Française de Cyclotourisme

Collection "MÉMOIRE LITTÉRAIRE DU CYCLOTOURISME" - Opus 4
Version numérique

Paul CURTET - Par les routes et les chemins...

photo de l'église de Mesage
Saint-Firmin de Mésage

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3 - SUR QUELQUES CURIOSITÉS MÉCONNUES
DES ENVIRONS DE GRENOBLE (1976)

    La première de ces curiosités est défunte quoique son apparence extérieure subsiste. Il s’agit de la chapelle Sainte Madeleine, près de l’ancien pont de Champ-sur- Drac. Elle est facile à trouver, car elle se voit de la route de Pont-de-Claix à Vizille : juste après Basse-Jarrie et le pont du chemin de fer, on l’aperçoit à quelques mètres de la route, juchée sur une petite éminence. Elle a été transformée en habitation, mais on reconnaît facilement l’abside romane d’une église avec quelques moulures et des fenêtres à plein cintre.
     Pilot de Thorey l’a vue il y a plus de cent ans. Elle avait déjà été modifiée par le propriétaire de l’époque. Celui-ci l’avait tirée d’un long état de délabrement pour l’habiter et exploiter une plâtrerie à proximité .Il me semble bien que son abandon remonte aux guerres de religion, ainsi d’ailleurs que celui du prieuré de Saint-Michel de Connex.
     Pilot de Thorey ajoute que sa construction devait remonter au 12e siècle et qu’elle appartenait aux religieux de Saint-Michel de Connex, lesquels nommaient le recteur de la chapelle. Il est curieux de constater que le pont du chemin de fer est situé à peu près à l’emplacement de l’ancien pont à péage, alors que l’actuel pont routier sur la Romanche est à un kilomètre en aval. Ce vieux pont fut longtemps très fréquenté pour aller en Haut-Dauphiné par Champ, Saint-Sauveur les Traverses, Laffrey et la Mure. Il me semble même qu’il ait été souvent préféré à l’autre itinéraire : Péage de Vizille, Mésage, Laffrey.
     En suivant la petite route qui passe au pied de Sainte Madeleine, on arrive au village de Champ-sur-Drac où l’on ne va plus guère. Le vieux village, s’il est à peine habité, a gardé du pittoresque : une tour envahie par le lierre, une petite église romane toute simple, et quelques maisons anciennes. De là on peut aller en une demi-heure à l’ancien prieuré de Saint-Michel de Connex appelé dans le pays couvent des Moines Rouges. On suit un sentier entièrement sous bois. À la première clairière, il faut prendre à droite, puis faire quelques mètres sous les arbres. On aperçoit alors les ruines qui sont cachées l’été par la végétation.
     J’ai fait cette petite découverte il y a une bonne dizaine d’années, et j’en avais été d’autant plus heureux que peu de temps avant les arbres m’avaient masqué le site. Tout cela est très modeste, à la vérité : une arcade de la croisée du transept avec deux colonnes et leurs chapiteaux de feuillages, le tout paraissant être du 12e siècle. En abattant quelques broussailles on pourrait mettre ces vestiges en valeur et en faire une ruine aimable qui resterait pourtant bien éloignée de ce qui subsistait il y a cent ans. J’ai en effet deux vieilles lithographies qui représentent les lieux tels qu’ils étaient en 1875, dégagés de la végétation et ouverts sur la vallée du Drac et les montagnes. Rien ne manquait pour en faire une belle ruine romantique : arceaux suspendus dans le vide, clocher à demi écroulé, fenêtres béantes auprès d’une chaumière aujourd’hui disparue.
     Pilot de Thorey nous dit que Saint-Michel, était un prieuré de l’ordre de Saint-Benoît, de la dépendance de l’abbaye de Saint-Chaffre, et qu’il eut des prieurs appartenant à l’illustre famille des Alleman. Le dernier prieur-commendataire aurait été Jacques Antoine Jerfanion, chanoine de l’église du Puy, un nom bien de là-bas. Il y a cent ans on pouvait encore accéder à la crypte dont la voûte était soutenue par un énorme pilier rond “ couronné d’un chapiteau orné de belles feuilles ”. Mais il n’y avait plus de traces du chapitre, du cloître et des dépendances prieurales.
     Pilot relate un prodige qui aurait été observable depuis le réfectoire : la fenêtre de celui-ci étant grande ouverte, les vents les plus furieux y étaient imperceptibles, et la flamme d’une bougie n’y était pas plus agitée que dans un lieu fermé de toutes parts...
     De retour à Champ on suivra la petite route qui monte au hameau de Saint-Sauveur et descend ensuite pour rejoindre la route de Laffrey. C’est là qu’il faudra faire attention, car la chapelle Saint-Firmin de Mésage, où je vous emmène, ne se voit pas de la R.N.85. Elle est en effet cachée par la végétation. De la bifurcation, il faudra descendre une centaine de mètres et prendre à droite un chemin qui, au bout de cinquante mètres, laisse apercevoir le clocher, la chapelle romane et le petit cimetière. Le clocher carré m’a paru sensiblement incliné. Sur trois de ses faces il y a des baies géminées à chapiteaux de feuillages. La flèche de pierre règne sur des bandes lombardes réunies par des festons. Au-dessus et au-dessous des baies, on aperçoit des frises de bâtons brisés et, çà et là, des modillons sculptés. L’extérieur de l’abside est sans aucun ornement et à l’intérieur on distinguait vaguement une colonne (la chapelle était fermée lors de ma visite).
     En vérité, c’est un charmant joyau roman ignoré du grand public. Les Grenoblois devraient mieux connaître ce petit édifice inoubliable dans sa simplicité et sa solitude.
     En continuant à descendre la côte de Laffrey, on prendra à droite peu avant Vizille un autre petit chemin qui mène à la chapelle romane dite des Templiers. Située sur une butte, elle a de ce fait plus d’allure et se voit aisément. Le clocher est plus grand et de même type que celui de Saint-Firmin. Les chapiteaux m’ont paru avoir été refaits. L’abside très belle et toute simple est rehaussée de trois moulures dont l’une est en manière de cordon et les deux autres plates.
     Je ne pus visiter l’intérieur et je gagnai Vizille pour revoir la chapelle du cimetière qui est le reste d’un prieuré du 11e siècle. Entre deux colonnes de marbre on peut voir un linteau mutilé et, au tympan, le Christ entre les symboles des évangélistes. C’est une représentation traditionnelle, mais assez rare, me semble-t-il, dans notre région. Si l’on poursuivait sur la route de Brié, on pourrait voir de grandes bornes bien restaurées et libellées en toises. Elles n’étaient pas destinées à renseigner le voyageur sur la distance parcourue, mais simplement à indiquer la longueur de route qui était à la charge de telle ou telle communauté. Par exemple, la borne n° 10 porte : 884 toises à l’entretien de Vaulnaveys, et celle n° 11 : 126 toises à l’entretien de Montchaboud.
     Je n’étais pas passé à Montchaffrey depuis une éternité. Il me semble que ce village est bien oublié aujourd’hui, après avoir connu une notoriété toute relative et peut- être dérisoire. L’automne dernier je décidai donc d’y retourner. Descendu du car à Vaulnaveys-le-Haut, je suivis la petite route qui serpente dans un vallon ombreux tapissé de châtaigniers . Elle laisse à gauche une grande scierie : on voit la chute d’eau qui, autrefois, devait animer la roue et toute la machinerie. Plus loin, la route était littéralement jonchée de châtaignes que personne ne ramassait, et je songeai, non sans ironie, aux éternelles déclamations sur la dureté des temps et à l’esprit de revendication des Français. Sur ces réflexions, le chauffeur d’un camion m’invite à prendre place sur son engin. J’acceptai volontiers et m’installai à droite du conducteur, lequel était un petit entrepreneur qui construisait une résidence juste au-dessus de Montchaffrey. À sa gauche était un autre personnage en tenue de travail dont je n’arrivais pas à définir la provenance : ce n’était ni un Nord-Africain, ni un Portugais ou un Sicilien. Ce fut l’entrepreneur qui me renseigna sans que j’eusse à lui poser la moindre question : il s’agissait d’un Turc, et aussitôt je trouvai qu’il avait bien l’air Turco-Tatar. Ainsi ce descendant des hordes farouches qui firent trembler la chrétienté venait louer ses services en Occident comme manœuvre. Mais qui sait ce que sera demain avec notre mentalité suicidaire ?
     Ces réflexions ne m’empêchaient pas d’admirer le paysage. Tout le long on a une vue très belle sur le Vercors et surtout la Chartreuse. Après avoir traversé de petits hameaux devenus fort coquets, on arrive à Montchaffrey qui se compose de quelques maisons bien proprettes. C’est un village forestier où l’on doit peu se préoccuper de la cherté du fuel :devant toutes les demeures sont soigneusement empilées des rondins de bois.
     Après avoir remercié et pris congé de mes compagnons de voyage imprévus, je me dirigeai vers le café qui me combla par sa rusticité avenante : quelques tables, la vieille horloge que l’on avait refusé cent fois de vendre...Malheureusement la patronne ne voulut me servir ni à boire, ni à manger pour la raison qu’elle ne le faisait que le Dimanche. Au surplus je ne l’avais trouvée que par chance, car elle aurait dû être aux champs. Finalement on consentit à me donner un verre de vin rouge qui servit à faire descendre je ne sais quelque croûton de pain que je trouvai dans mon sac. On parla aussi, et j’eus des renseignements sur un personnage que les vieux grenoblois ont connu et qui signait : le Toéne de Montchaffrey. C’était un journaliste, M. Bouquet dont la fille était institutrice à Montchaffrey. Ses chroniques en patois paraissaient dans le Petit Dauphinois du dimanche, avant 1914 pour la plupart. Aujourd’hui il n’y a plus d’institutrice à Montchaffrey, les deux seuls enfants d’âge scolaire sont transportés en car dans les écoles d’en-bas.
     J’allais me promener dans le haut du pays, sur le chemin qui mène au lac Luitel. En revenant, j’eus une conversation avec un paysan qui me tînt des propos peu amènes sur mon hôtesse de tout à l’heure : “ on ne tenait pas à travailler parce qu’on avait une pension à la suite d’un accident mortel du mari, le fils était à l’usine, etc.. ” Bref, les petits ragots de village.
     À la descente, je pus mieux jouir du paysage et de la vue splendide sur la Dent de Crolles et le col des Ayes. À Vaulnaveys, je pris un casse-croûte bien mérité. Cela me fit manquer le car, et j’allais à pied jusqu’à Uriage. En passant aux Alberges j’eus un regard attristé sur le parc qui fut autrefois un terrain de golf. Son gazon au vert inimitable m’émerveillait toujours, et l’on voyait parfois évoluer des silhouettes patriciennes suivies de leurs caddies. C’était au temps où Uriage avait du prestige...