Commission Culture et Patrimoine de la Fédération Française de Cyclotourisme

Collection "MÉMOIRE LITTÉRAIRE DU CYCLOTOURISME" - Opus 4
Version numérique

Paul CURTET - Par les routes et les chemins...

photo de Saint-Jean de Couz
Saint-Jean de Couz


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7 - AUTOUR DES ÉCHELLES
(1968)

    On connaît bien Les Échelles comme lieu de passage, un peu moins ses maisons anciennes dont l’une, à arcades, porte l’écusson de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.
     La route de Chambéry, avec son tunnel, date de Napoléon qui ne la termina pas d’ailleurs. C’est le gouvernement sarde qui le fit après 1815. Avant, il y avait...les Echelles ou escaliers taillés dans la falaise calcaire qui s’élève au-dessus de la plaine du Guiers. Elles aboutissaient à la Grotte située au-dessous de la route actuelle, un peu à l’est. L’ancien chemin partait de la grotte qui se prolongeait en un petit canyon rendu souvent impraticable par les pluies malgré le mur romain qui endiguait le défilé. Charles- Emmanuel II améliora ce dispositif en 1670, puis Napoléon vint...
     Après le tunnel, la route a un côté très alpestre en dépit de la faible altitude. Au col ce Couz, il faudra abandonner la N.6 malgré la tentation de la magnifique descente, à moins que l’on ne soit au début du printemps. À ce moment, la descente sur Chambéry devient triomphale avec le foisonnement des arbres en fleurs.
     Mais laissons cette éventualité, et prenons la petite route de droite qui traverse le village de Saint-Jean de Couz. Elle s’élève rapidement dans la forêt de sapins et ressemble par endroits à une allée de parc. Elle atteint le hameau et col des Egaux, à mille mètres d’altitude, dans une ravissante clairière parsemée de haberts. La vue est alors étendue sur un admirable paysage de prairies, de forêts, de parois calcaires, en un mot de tout ce qui fait la séduction de la verdoyante Chartreuse. On aperçoit même un coin du lac du Bourget.
    Au cours de la descente, on voit en face, de l’autre côté du Guiers, le clocher de la Ruchère et de nombreux chalets au-dessus. Joanne parle du «triste hameau» de la Ruchère. Sans doute, devait-il être bien misérable de son temps. Pour ma part, et peut- être à cause de ce nom d’abeille, je l’ai toujours trouvé très attirant.
     La descente aboutit à Corbel, très petit village à neuf cents mètres d’altitude, qui a un café rustique avec une magnifique terrasse ombragée. C’est un endroit reposant au possible où l’on aimerait paresser indéfiniment. Cette terrasse domine de très haut le Guiers-Vif et offre un incomparable panorama, en particulier sur la fameuse route en encorbellement des gorges du Frou.
     De Corbel, on pourrait descendre directement sur Saint-Pierre d’Entremont par un bon sentier, mais la route carrossable continue maintenant vers le col de la Cluse. Très irrégulière au début, elle traverse une prairie au milieu de laquelle j’ai vu un panneau annonçant un projet de lotissement de soixante chalets. Il y a de cela deux ou trois ans. Je ne sais ce qu’il en est advenu.
     Après d’autres prairies merveilleusement odorantes on parvient au col (1135 m). C’est un passage plutôt resserré mais, par une trouée éblouissante, on aperçoit le Mont- Blanc de la base au sommet.
     Le premier village que l’on voit à la descente est celui du Désert. Un peu après on rencontre un nouveau lotissement plus modeste, prévu pour quinze chalets seulement. Puis, c’est Entremont-le-Vieux, assez gros village montagnard sur la route du col du Granier, et qui me rappelle une anecdote un peu risible. Cela se passait au temps des restrictions. Nous avions cru bon de pousser jusque là-haut dans l’espoir de mieux remplir nos estomacs affamés. Hélas, le plat de résistance était du «mou» pour les chats. Si cette pitance répugnante m’est restée sur l’estomac, je n’en ai pas tenu rigueur au pays et à ses habitants.
     La région des Entremonts est une sorte de condensé de la Chartreuse. Les scieries y sont nombreuses et exhalent toujours la même bonne odeur de sapin. Les ruisseaux qui les faisaient mouvoir sont toujours là, eux aussi, bruyants et bondissants, descendant des falaises à demi noyées de végétation. Saint-Pierre d’Entremont, la capitale, est une bourgade prospère, savoyarde et dauphinoise, très fréquentée par les touristes. La principale curiosité naturelle est le Cirque de Saint Même, à quatre kilomètres. C’est une prairie fermée à l’est et au sud par de grands escarpements de plusieurs centaines de mètres de hauteur verticale. On peut aller voir ce qui se passe derrière ce mur par le moyen de «sangles» vertigineux, sortes de corniches naturelles qui permettent de gravir la falaise. Tout cela est bien de Chartreuse: la grandeur du site est adoucie et comme amortie par la vivacité de la végétation.
     Une autre curiosité de Saint-Pierre est le château dit du Gouvernement ou de Saint-Pierre. C’est un château en ruines qui a été bâti par les Chartreux au XVème. siècle sur l’emplacement d’un château féodal des Montbel. De là-haut, on voit le cours du Guiers, presque depuis sa source, du côté de Saint-Même, jusqu’à son confluent avec le Rhône.
     On va de Saint-Pierre aux Echelles par la célèbre route du Frou. Aux endroits spectaculaire, on peut voir les automobilistes les plus pressés s’arrêter un moment pour sonder l’abîme. De l’autre côté du Guiers, on aperçoit le clocher de Corbel sur les hauteurs boisées.
     Aux Echelles, on prendra la départementale qui monte à Miribel. Ce village présente de l’intérêt uniquement par sa situation dominant un assez vaste horizon. Je suis allé souvent déjeuner dans un petit restaurant, aujourd’hui fermé, et situé dans le bas du village. On y mangeait de façon familiale dans une salle décorée d’un vieux chrome attendrissant autant que patriotique, qui devait dater de près de cent ans et que je n’ai vu nulle part ailleurs. Il représentait la France meurtrie, incarnée par une femme noblement douloureuse, foulée aux pieds par un soudard casqué qui avait le visage de Bismarck.
     Miribel est au pied du col de la Croix des Mille Martyrs (883 m). La route du col s’élève dans un premier plan de prairies, avec des lointains boisés ou rocheux, pour aboutir dans une belle forêt de pins. Au cours de la descente, on trouve sur la gauche une petite route qui monte à Saint-Sixte et qui est une ancienne voie romaine. Il en subsiste un tronçon du côté de Macherin, mais j’avoue ne pas l’avoir vu. Avant Saint-Sixte on aperçoit à droite les ruines d’un château incendié pendant la guerre. Je l’ai connu intact, il avait alors un plaisant aspect, un peu opéra-comique. Saint-Sixte a eu un prieuré dont il ne semble rien rester, et un joli petit lac. On peut continuer à descendre vers Saint Nicolas de Macherin et Saint-Etienne de Crossey sur un plateau en pente douce qui est encore la Chartreuse et pas encore le Bas-Dauphiné. On domine largement celui-ci et l’on a en plus de belles vues sur le Vercors. Des petits châteaux et leurs parcs ajoutent au charme du pays qu’il faut traverser en flânant.
     Si l’on continue la descente des Mille Martyrs, on arrive bientôt à Saint-Geoire en Valdaigne. L’église a des stalles Renaissance et une Piéta du XVIème qui méritent largement la visite. Le plus curieux est encore un petit porche latéral de style roman qui provient du prieuré de Saint-Sixte. L’ancien château des Clermont-Tonnerre avec son parc domine la petite ville. Ici, on est dans ce Bas-Dauphiné, un peu dédaigné, mais qui a de l’intérêt lorsqu’on est saturé de grandeur et de montagnes. Tout près il y a le petit prieuré de Chirens, bien modeste avec ses quelques colonnes romanes, mais qui commence à être connu depuis que l’on y donne des concerts. Au-delà, c’est Voiron et la route de Grenoble, trop connus pour que l’on y insiste. .